Quand la science flirte avec l’au-delà

la science aux frontières de la mort

Les visions de Jérôme Bosch (1450-1516) sur l'au-delà : l’ascension des âmes et le tunnel de lumière. Cycle de quatre panneaux peints à l’huile, Galerie de l’Académie de Venise.


Que se passe-t-il lorsque l’on meurt ? Y a-t-il un après ? La conscience (ou l’âme?) peut-elle vivre des expériences malgré la quasi absence d’activité cérébrale lors d’un accident grave ou d’une période plongée dans le coma ? Parallèlement au secteur médical, la psychologie recueille des témoignages de plus en plus fournis pour aborder cette thématique sans tabou.

Julia* (*prénom d’emprunt) a frôlé la mort il y a deux ans lors d’un accident de voiture. Dans l’ambulance qui l’emmenait aux urgences, son coeur a lâché. Pendant d’interminables secondes, les secouristes tentent de la réanimer. Son coeur finira par repartir. Plus tard, lorsqu’elle reprend conscience à l’hôpital, Julia est bouleversée. Plus que le traumatisme qu’elle vient de subir sur le plan physique, c’est surtout ce qu’elle a vécu au plus profond de son esprit qui la perturbe. Si elle ne répondait à aucun stimulus physique pendant la réanimation, sa conscience semble avoir vagabondé entre des états de lucidité élevés et des dimensions insaisissables pour le commun des mortels. Cette expérience, que l’on appelle expérience de mort imminente (EMI), est vécue par près de 10% de la population. Et le plus intriguant, c’est que les témoignages recueillis aux quatre coins du monde concordent, quel que soit le background culturel ou spirituel des personnes concernées. En ayant frôlé la mort, tous ont vu la même chose. «En recueillant des témoignages de personnes ayant vécu une expérience de mort imminente, on retrouve en effet la description des mêmes étapes et concepts», souligne Jonathan Matile, Psychologue FSP spécialisé dans l’accompagnement de patients ayant subi une EMI. «Globalement, une EMI est structurée de la même manière et constitue en outre un souvenir particulièrement fort et détaillé. Contrairement à un rêve ou à un souvenir quelconque, qui a tendance à s’estomper avec le temps, ce qu’une personne vit lors d’une EMI reste gravé en elle avec un très haut degré de précision et de détail sans se détériorer, même après des années. Le plus intéressant, c’est que les techniques d’imagerie cérébrale utilisées dans le domaine des neurosciences indiquent pourtant que l’activité cérébrale est sous-oxygénée lorsqu’une personne est en arrêt cardiaque, donc au moment de l’expérience de mort imminente. De plus, les souvenirs d'EMI ont plus de caractéristiques que les souvenirs d'événements vécus à l’état vigil.»

Aux frontières de la mort, sept étapes semblent revenir

Si le cerveau d’une personne inconsciente ou dans le coma paraît en état d’hibernation, il reste que les sujets des EMI vivent une expérience des plus intenses. Expérience dont le souvenir particulièrement fourni et persistant pencherait en faveur d’une conception dualiste de la conscience (n.d.l.r. théorie dans laquelle la conscience serait en quelque sorte indépendante du cerveau). Impossible de le dire. Et à chacun de se forger sa propre opinion. Toujours est-il que ces EMI se caractérisent par une structure commune en sept étapes, décrites par des millions de personnes à travers le monde alors que leur cerveau était quasiment éteint. Ces étapes sont hiérarchiques et probabilistes, cela veut dire que chaque étape n’est pas obligatoirement présente. 1. Un sentiment de paix envahit la personne qui ne ressent plus la douleur. 2. Une sortie de corps se produit. La personne bénéficie alors d’une perception «sensorielle» accrue, en pouvant voir ou entendre des éléments qu’elle ne pourrait pas percevoir en étant consciente. Certains témoignages évoquent une capacité à se déplacer dans les environs du lieu où se trouve leur corps. À leur réveil, nombreux sont les sujets qui ont pu donner des détails exacts quant à ce qui a pu être dit ou fait dans ces lieux lors de leur état d’inconscience. 3. Un flottement dans une sorte d’obscurité mène ensuite à un passage. Ce concept de passage peut se traduire différemment selon le background culturel du sujet : un tunnel dans la société occidentale, une porte en Orient, une rivière en Asie. 4. Au bout de ce passage, une lumière forte, décrite comme étant bienveillante, attire fortement le sujet. Cette lumière est ressentie comme une sorte d’amour. Souvent, les personnes indiquent ne pas disposer de mots suffisamment forts dans le langage courant pour décrire l’intensité du sentiment provoqué par cette lumière. 5. Le sujet peut rencontrer ensuite un être proche décédé. Certaines personnes indiquent souvent avoir revu un membre de leur famille, un ami ou même un animal domestique auquel elles étaient particulièrement attachées. 6. Un flashback rapide, de l’ensemble de sa vie, fait ensuite revivre en un instant tout le vécu de la personne. Chose étonnante, ces moments de vie sont revus et revécus avec la prise en compte de la perspective des autres. En gros, la personne comprend alors ce qu’elle a pu provoquer comme réactions ou sentiments auprès de ses proches durant sa vie. 7. La dernière étape est ressentie comme une une frontière avec l’au-delà où l’expérienceur doit faire le choix de la traverser ou non. Un autre monde aussi beau qu’attirant mais qui est clairement compris et décrit comme étant un point de non retour. Personne n’a pu témoigner s’y être aventuré. Tous sont revenus avant.

Certains vivent l’enfer

Surtout décrite comme étant une expérience positive et intense, il arrive parfois (dans environ 5% des cas) qu’une EMI soit vécue de manière négative. Et les témoignages recueillis font froid dans le dos. Certains décrivent un sentiment de néant abyssal. Un vide absolu, terrifiant. D’autres décrivent des scènes infernales que l’on peut directement relier au concept d’enfer tel que décrit dans les religions. «Je remarque que les personnes qui rapportent une EMI négative ont souvent subi des injustices ou des expériences traumatisantes dans leur vie, telles que des agressions, dont elles se sentent responsables, voire coupables», explique Jonathan Matile. «Ce sentiment de culpabilité peut parfois être induit par l’agresseur, comme par exemple lors d’un viol. En se sentant coupable ou responsable de ce qui lui est arrivé, une personne victime peut se voir comme étant mauvaise. Ce contexte émotionnel négatif provoquerait alors un sentiment négatif en cas d’EMI. Un accompagnement psychologique est alors essentiel. À l’inverse, il m’est aussi arrivé de devoir accompagner des personnes ayant commis des actes cruels dans leur vie mais qui ont vécu une EMI positive. Comment l’expliquer ? Selon moi parce que ces personnes étaient persuadées de n’avoir pas mal agi de leur vivant. Même si objectivement il est évident qu’elles ont fait du mal, le fait qu’elles n’en étaient pas conscientes, ou même qu’elles pensaient avoir fait le bien selon leur manière de voir les choses, n’a pas provoqué de sentiment de culpabilité chez elles.»

Prise en compte médicale

Encore tabou, le sujet des EMI progresse cependant au sein des différentes sphères scientifiques. De son côté, Jonathan Matile s’implique par exemple auprès des filières de formation en soins infirmiers pour sensibiliser les futurs professionnels sur les enjeux des EMI en termes de santé mentale. Son objectif : former le personnel soignant pour lui permettre d’agir en amont en offrant une certaine écoute aux patients afin d’éviter qu’ils ne développent des troubles psychologiques liés à leur EMI. Suite à une expérience de mort imminente, positive ou négative, il est en effet fréquent de développer certains troubles. «En raison de l’intensité de l’expérience, il peut arriver que le retour à la vie quotidienne paraisse douloureux, futile ou sans aucun sens, provoquant ainsi une dépression. Une crise identitaire peut aussi apparaître et provoquer une perte de repères. On remarque d’ailleurs que trois quarts des personnes ayant vécu une EMI divorcent ou se séparent par la suite. Leur partenaire ne les reconnaissant plus ou ne partageant plus leur hiérarchie de valeurs ou leur vison du monde.» D’où l’intérêt et la nécessité de pouvoir en parler librement auprès de personnes neutres, sans subir de jugement. Dans le cadre de son activité, Jonathan Matile anime justement des groupes de parole au sein de son cabinet situé à Pully. Et vous, avez-vous quelque chose à partager à ce sujet ? Vos commentaires sont les bienvenus.

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